Des résistances au salaire minimum à 15 $ l’heure

La première ministre l'Ontario, Kathleen Wynne. Crédit image: Maxime Delaquis

[ANALYSE]

TORONTO – Dans les prochains mois, l’Ontario connaîtra une « petite révolution » économique. L’augmentation du salaire minimum à 14 $ l’heure en janvier 2018 puis 15 $ l’heure en janvier 2019 pourrait modifier le quotidien de milliers de travailleurs. Quelque 10 % des travailleurs ontariens doivent se contenter d’un salaire minimum.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Actuellement de 11,40 $ l’heure, ce revenu de base bénéficiera donc d’une augmentation de plus de 30 %. Et placera l’Ontario devant la plupart des provinces et territoires. Les gouvernements néo-démocrates en Alberta et en Colombie-Britannique ont opté eux-aussi pour un salaire à 15 $ l’heure qui entrera en vigueur respectivement en octobre 2018 et en 2021.

Ce qui restera comme l’une des mesures phare du gouvernement Wynne ne fait pourtant pas que des heureux. Pour certains, cette hausse représente une « fausse bonne nouvelle » qui plombera à coup sûr la création d’emplois et d’éventuelles embauches.

Ce débat entre partisans du Keynésianisme et économistes libéraux ne date pas d’hier. Entre ceux privilégiant la relance économique pour stimuler le marché et les autres favorables au laisser-faire, la définition du bien commun n’a jamais fait consensus dans les pays occidentaux.

Même au Québec, les journées d’action pour un salaire minimum à 15 $ l’heure se sont multipliées au cours des dernières semaines. Signe que les mesures ontariennes font quelques émules dans la province voisine.

Virage à gauche pour Wynne

En vérité, les intentions du gouvernement Wynne se situent au-delà des théories économiques. Cette augmentation du salaire minimum par les troupes libérales est stratégique. Il s’agit de couper l’herbe sous le pied du Nouveau Parti démocratique (NPD), et se différencier du Parti progressiste-conservateur plus centriste que prévu sous la houlette de Patrick Brown.

Ce virage à gauche du gouvernement Wynne en vue des élections provinciales est manifeste sur bien d’autres aspects. En avril dernier, la première ministre avait annoncé un programme d’assurance médicaments pour les jeunes. Une mesure de quelque 465 millions de dollars qui entrera elle-aussi en vigueur le 1er janvier.

À quelques semaines de la première hausse du salaire minimum, les résistances commencent à se dessiner. Certaines municipalités font part de leurs inquiétudes. À London, cette semaine, les conseillers municipaux ont pointé le risque d’un manque à gagner de 1 million de dollars en raison de la hausse salariale.

Des organismes francophones inquiets

La grogne touche aussi la direction de certains organismes franco-ontariens. Pour eux, un salaire de 15 $ de l’heure rimerait avec des dépenses plus importantes. Dans le contexte de budgets de plus en plus petits, et de l’interminable attente des deniers du Plan d’action pour les langues officielles, le momentum ne serait pas le meilleur.

Bien sûr, cette affirmation n’est peut-être pas la même du côté d’une partie des employés, dont la hausse du salaire peut tout simplement faciliter les fins de mois.

Interrogée sur le sujet lors du récent congrès de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), Marie-France Lalonde a rappelé sa « fierté » d’appartenir à un gouvernement capable d’augmenter le salaire minimum. Pas sûr que la réponse ait convaincu tout le monde.

Entre les résistants et les enthousiastes, le gouvernement libéral joue en tout cas gros avec cette augmentation. Les premiers effets à partir de janvier ne manqueront pas de provoquer l’ire de ses adversaires, ou a contrario de relancer le Parti libéral à quelques semaines des élections.

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 4 novembre.